Musée muselé
Des cocktails molotov sur une photo d’art.
Parce qu’elle figure une jeune femme dénudée, le sexe dissimulé sous des plumes.
Expression d’un extrémisme débile. Déplacé. Bien plus que ne pourrait l’être l’image « incriminée » par une bande de sots qui confondent le travail artistique et la pornographie. Et encore. La pornographie est aussi une liberté de toute société, pourvu qu’elle ne soit pas le produit d’une contrainte exercée par des humains sur d’autres humains et qu’on n’y implique pas les enfants.
Ca aurait pu se passer dans l’un de ses pays où la femme est reléguée au rang d’objet, le désir et le plaisir considérés comme des crimes de lèse-dieu, où l’on cache ses pratiques sensuelles et sexuelles comme si c’était mal, mais on pratique quand même, paradoxe de doctrines qui ne tiennent de facto pas la route.
Ou dans l’une de ces villes du sud de la France, où l’arrivée au pouvoir de partis non démocratiques a eu pour effet immédiat le musellement des arts et de la culture, enfin des cultures qui ne reflètent pas les idéaux desdits partis.
Mais non.
C’est arrivé près de chez nous.
Dans un musée tout ce qu’il y a de plus commun, un lieu dédié à la photo d’art. Que l’on prie donc, si l’on comprend bien, de se cantonner aux jolis paysages et aux natures mortes.
La photo considérée, apposée à l’entrée du musée pour signaler l’expo, n’a rien d’outrancier. Elle n’est ni crue ni trash (encore qu’elle pourrait l’être !), elle ne laisse rien apparaître que notre société n’admette sur des clichés. Et franchement, ça n’est pas « le pire », en ce domaine, des clichés exposés, looooooool.
La nudité pullule dans les publicités pour des produits qui n’ont rien avoir avec le corps. Ca ne choque personne. Pourtant, se servir de la nudité à des fins commerciales n’est-il pas un procédé plus contestable que de s’en servir pour interpeller, faire réfléchir, susciter le débat ?
Dans les commentaires (éclairés) sur l’expo, l’on peut lire « L’œuvre d’A. ne peut être que considérée dans son ensemble pour être vraiment comprise. Trop longtemps, on l’a limitée à des portraits de femmes japonaises dénudées, ligotées. Provocateur, pornographe, vulgaire, (…) Prises une par une, nombre de ses photos érotiques nous apparaissent gratuites, sans charme, complaisantes. Si par contre, on les confronte avec le reste de sa production, les choses se mettent e place petit à petit. Le grand mérite de cette exposition de la B.A.G. de Londres consiste justement à nous montrer énormément de choses afin de nous permettre de découvrir, au-delà de chaque pièce, l’incroyable puzzle de ce personnage hors norme. Ainsi, (…) c’est la conscience du temps qui passe qui ressort de l’œuvre. La vie, la mort, la beauté qui se fane puis disparaît sont partout dans son univers (…) La vie, la mort, l’intimité et son exposition au public : tout A. est là ». (Le Soir, 25/9/06)
A l’Usine, ce qu’on a vu de l’expo a interpellé, a fait réfléchir, a suscité le débat ! Et nous a, à tous, donné l’envie d’aller voir l’expo. Mais nous sommes des petits gâtés, des veinards : nous bénéficions d’un accès facilité à la culture, aux cultures. Nous sommes des (gros) consommateurs culturels. On lit, va au théâtre, au ciné, au concert. On se déplace pour aller vers ce qui nous plaît, puisqu’à force de pratique, nos goûts et affinités commencent à être identifiés.
Et si je n’ai pas toutes les clés de la « dégustation culturelle », je peux dire que oui, j’aime ces clichés, qu’ils me parlent, suscitent en moi émotions et questionnement.
Donc l’expression du fascisme primaire dont est victime la photo-appel de l’expo me choque, d’autant plus qu’elle est le fait (d’une infime partie) de la population elle-même. Il y a donc des gens assez idiots, inconscients, imperméables, pour poser de tels actes sans se rendre compte qu’à travers une photo d’art, c’est au foisonnement culturel, à l’épanouissement par l’ouverture sur le monde, qu’ils s’attaquent ?
L’ignorance est le terreau de l’intolérance et de l’obscurantisme. Si, au lieu de détruire un symbole extérieur, les iconoclastes culturels avaient poussé la porte du musée et avaient nourri leur réflexion à l’engrais de ce que l’artiste a voulu communiquer à son public, sans doute en seraient-ils sortis grandis.
En tout cas, moi, j'irai voir. Et sans doute d'autres en feront-ils de même, à la faveur de l'incident. Hé hé hé, au fond, c'est un sacré coup de pub...