Même pas peur
Déjà qu'il faut être à jeun et se lever aux aurores, ça part mal.
Il pleut.
Mais c'est l'été, alors, dans la salle d'attente, y'a que des vieux. Tous avec leur petit papier et leur vignette rose entre leurs doigts usés.
Les femmes ont le même style de robe en dyolène que moi, sauf que la mienne est toute neuve, avec encore l'étiquette "en solde", tandis que la leur est d'époque. La mode est un éternel recommencement.
Je regarde leur visage ridé et leurs joues creuses, leurs lèvres fines qui semblent être avalées par leur bouche, leurs cheveux rares et si fins, avec un peu trop de bleu dans le mélange - les coiffeurs devraient avoir des cours de chimie plus poussés - leur dos cassé par un début d'ostéoporose, les membres maigris mais le ventre gonflé. Que la vieillesse est cruelle au corps des femmes !
La salle est propre et impersonnelle, comme toujours. Ils ont eu la délicatesse de peindre en coquille d'oeuf et non en blanc aseptisé, c'est déjà ça. Les sièges de tissu, eux, portent davantage les marques du flot humain qui a posé les fessus dessus. Le faux plafond est en fibres d'amiante, ça me fait sourire. Le grand bureau en formica voit trôner en son centre l'imposante sacoche de cuir du maître des lieux. C'est le sceau du pro.
Il sort, suivant le petit vieux qui porte un polo de laine de ce bleu grisé qu'on dirait réservé aux plus de 60 ans. La cinquantaine svelte, la barbe blanche et des yeux bleus qui ont dû lui valoir une belle jeunesse, il me reçoit avec des gestes posés, dans un français châtié et une extrème déférence. On passe de l'autre côté.
Il me fait asseoir et examine mon papier, compte ses tubes, prépare son aiguille, se rapproche de moi... Di joss, mais c'est pas possible : il sent la bière, à 7h35 du matin !!!